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BLOGART(LA COMTESSE)

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14 novembre 2023

Tempo très moderato

Ciel de réglisse par Marc Villard

Masse

                       Babelio dont je suis un vieux complice m'a proposé Ciel de réglisse de Marc Villard. Composé de deux novellas et six nouvelles (j'avoue que la différence m'échappe, peu importe) ce recueil de Marc Villard est d'obédience plutôt polar urbain contemporain. J'ai, je crois, un peu préféré les nouvelles courtes centrées sur le thème du jazz au sens large, assez efficaces, sous le titre général Musique soule. Jazz et thriller ont souvent fait bon ménage. Entre came et petits trafics rien de neuf sous le soleil ou plutôt la nuit qu'elle soit marseillaise ou catalane. Mais c'est pas mal troussé. Si ça vous tente ça ne vous prendra pas trop de temps. 

                       Les deux novellas, En danseuse et Ciel de réglisse bénéficient d'un scénario forcément un peu plus fouillé, le premier en banlieue parisienne rebondissant sur Marseille avec ce qu'il faut de réfugiés, de livreurs de pizzas et de dealers, du tout venant, quoi. Le second en Californie sur fond d'espionnage:0 comme on dit maintenant. Le soleil de l'ouest américain n'est pas plus engageant que les deux plus grandes villes françaises. Guère plus engageant, ce recueil qui se voudrait à tempo de jazz, plutôt inopérant quant à moi. Ce fut une chronique brève. C'est le mot qui convient.

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11 novembre 2023

Je m'appelais Ojinjintka, maintenant Winona. J'étais une Lakota.

Lunes

              J'ai aimé tout ce que j'ai lu de l'Irlandais Sebastian Barry (Les tribulations d'Eneas McNulty, Un long long chemin, Du côté de Canaan, Le testament caché). J'ignorais que Des millers de lunes était une suite indépendante de Des jours sans fin (2017) que je n'avais pas lu et j'ai découvert les personnages peu à peu. Avec un peu de mal à me plonger dans l'histoire. Mais assez vite le destin de Winona, orpheline indienne rescaoée d'un massacre et élevée par deux hommes blancs, m'a intéressé.

           Peu après la Sécession cette curieuse famille exploite une modeste ferme du Tennessee, avec l'aide de deux esclaves affranchis. La guerre est certes finie mais les rancoeurs sont tenaces et les agressions fréquentes. Beaucoup d'ennemis dans l'existence de Winona, beaucoup d'ennemis et peu de protecteurs. Cependant l'énergie est vissée au corps et au coeur de la jeune indienne. D'accord pour ce roman solide et humain, un bon livre. Mais tout de même en exilant sa littérature en Amérique, au moins dans ce cas, je trouve que la force de conviction de Sebastian Barry s'est légèrement amollie, ou plutôt standardisée.

          Des milliers de lunes, c'est donc, et aussi, un roman sur l'identité. On n'y échappe pas, on n'y échappe plus guère. Au point que les livres tendent à se ressembler de plus en plus et que littérature, mais également cinéma, me font maintenant souvent penser à nos zones commerciales périurbaines. Pouah! Je suis un peu dur avec Barry car ce thème de l'identité n'est pas asséné comme dans tant d'autres. Et interroger sur les minorités quelles qu'elles soient réclame aussi de la mesure. Ceci dit Des milliers de lunes reste un excellent roman et Sebastian Barry une valeur sûre de ma chère Irlande.

            

1 novembre 2023

Liens de sang

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                Quelque chose me plaisait dans cette histoire, quelque chose susceptible de me toucher. Cinéphile invétéré j'aime beaucoup certains films de Jules Dassin, surtout sa trilogie noire des fifties La cité sans voiles, Les forbans de la nuit, Les bas-fonds de Frisco, fabuleuse. Son fils Joe, chanteur à succès, m'a toujours semblé beaucoup moins lisse que l'image que le public avait de lui. Citoyen américain il avait peut-être l'étoffe d'un folksinger comme je les aime. Mais ce qui m'attirait c'était surtout le rapport père-fils, sachant que les deux s'étaient finalement assez peu rencontrés toutes ces années. Se connaissaient-ils vraiment? Question valable pour le commun des mortels, dont manifestement n'étaient pas nos deux personnages mais j'y reviens.

                J'ai apprécié l'an dernier La dernière enquête de Dino Buzzati où Alexis Salatko rendait un modeste mais subtil hommage à l'auteur du Désert. Son talent n'est pas vraiment en cause. Voilà la vérité. Ni Jules ni Joe ne m'ont ému ou touché au long de cette longue confidence du père, Jules Dassin, enfant d'immigrés juifs ukrainiens (il semblerait que le nom Dassin vienne d'Odessa, ces choses étaient monnaie courante à Ellis Island). Il y évoque par bribes son entrée dans le monde du cinéma, assistant d'Hitchcock, ses premiers films, son mariage et ses trois enfants dont un garçon, Joe, l'aîné, qu'il verra grandir en partie puis de loin en loin. Joe ne prend jamais la prole dans ce récit mais Jules en parle, presque comme d'un cousin éloigné sur lequel il est très critique. Etudes de Joe, premier démons, comme tout le monde, et dépendance ultra-rapide, comme beaucoup. Et dire que ctte génération se croyait rebelle. Chimères.

             Et puis le maccarthysme tient une grande place bien sûr, Dassin en ayant été une des principales victimes. Sur ce sujet de la chasse aux sorcières j'ai déjà eu l'occasion de dire ma circonspection. Mais c'est la diva Melina Mercouri qui m'a laissé l'impression la plus désagréable. Une icône, une diva. Justement là encore je me méfie des divas et des icônes. Un peu intouchable, il est vrai qu'elle fut une grande résistante au régime des colonels, menacée dans sa vie même, puis devenue une institution à l'égal du Parthénon. Ca ne suffit pas à m'émouvoir, encore moins à m'envoûter. Peu enclins à la modestie père, fils et belle-mère n'ont pas tardé à susciter mon ennui, peut-être pas vierge de toute mauvaise foi. Je me suis octroyé depuis bien longtemps le droit à une touche raisonnable de ce sentiment bien pratique. 

            Nous en resterons là, aux grands films de Jules, ce qui n'est pas si mal.Aux gentilles ballades de Joe, souvent des standards du folk adaptés en français, au moins au début. Quand même déçu par Jules et Joe.

26 octobre 2023

Chemin de croix

Masse

 

Temps-croises

               Retour au Moyen Age avec Masse Critique Babelio dont je suis toujours un fidèle. J'aime assez les romans historiques mais je crois avoir jadis lu beaucoup mieux sur les Croisades (la trilogie Les tournois de Dieu de Barret et Gurgand). C'était très jadis. Guy Bosschaerts est l'auteur de Temps Croisés. Ascalon, premier tome d'une autre trilogie. Un jeune nobliau catalan ruiné va devenir sans vraiment l'avoir choisi. A la rigueur le plus intéressant est la première partie où l'on suit la formation de ce futur chevalier et les rudes conditions de cet apprentissage.

              Ensuite c'est l'embarquement. Nous sommes au début des Croisades. Arnau de Casanove connaitra lors de ce premier épisode entre autres la dureté d'une vie de Templier, ses privations et ses humiliations. Et ses gloires fragiles mais je suppose que ce sera pour les volumes 2 et 3. Et sans moi. Car je ne serai pas du voyage, laissant à d'autres volontaires cet amalgame d'alchimie, de fracas des armes, de défaites et de rédemption. Ascalon, que l'actualité vient de tristement remettre à l'ordre du jour, a beau être bien documenté, ce n'est qu'un ouvrage assez laborieux qui distille un ennui que ni les cruautés des combattants, ni les intrigues de palais, ni la fascination répulsion du néophyte pour l'Orient n'ont réussi à tarir en moi. Eau saumâtre donc en conclusion pour ces puits du désert. On a le droit d'être d'un avis contraire. Il ne manquerait plus que professer l'intolérance en ces lieux.

12 octobre 2023

Au lac du temps

Lac

              Auteur allemand tout à fait inconnu, Hans-Ulrich Treichel. Emprunté vite fait un jour pressé. Bien tombé. Paul est un jeune Allemand en passe de devenir universitaire mais c'est un peu laborieux et incertain. D'ailleurs tout est incertain chez Paul, c'est claudicant, ça se cherche. L'éditeur en parle comme d'un anti-héros. Plutôt sympa le Paul, on va dire pas encore tout à fait construit. Ce lac est l'un des lieux de promenade favoris des Berlinois, une zone naturiste, mais trop de chiens, et Paul y passe quelques bons moments avec son amie. Mais malgré tout ça marche pas trop.

             Le cursus post-universitaire l'amène à Malaga, Espagne, où il s'adaptera tant bien que mal, dispensant une année de cours au titre d'assistant, mal payé et pas passionnant. C'est un peu ça le problème avec notre ami Paul, assez velléitaire, un peu touche à tout, mais pas de génie.L'étincelle viendra-t-elle de l'Andalousie avec la rencontre de Maria, jeune Espagnole, études de médecine laborieuses, de plus mariée, de plus enceinte, de plus de son mari? Où va le monde si les maîtresses se mettent à ça. Avouez que rien n'est simple. A partir de là, rien d'exaltant, je peux comprendre que certains lecteurs n'aient pas envie d'en savoir plus sur l'histoire de Paul.

              Pourtant, doucement, presque sournoisement, la petite musique des aléas et vicissitudes dans la vie de Paul m'a titillé l'esprit puis carrément intéressé. Ce n'est pas un foudre de guerre mais ses maladresses, une certaine timidité, un zeste de malchance en font un frère d'armes pour moi. Il retourne à Berlin mais la ville change. Maria lui a cependant promis "toujours ensemble" mais à sa façon. Je vous laisse avec cette interrogation, Que reste-t-il de nos amours? Une sorte d'amour en télétravail? Mais ce portrait de Paul en Berlinois recèle beaucoup plus d'émotion qu'il n'y paraît. Spleen über Berlin. Un Berlin des quartiers, pas seulement Checkpoint Charlie ou la Porte de Brandebourg.  

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4 octobre 2023

Par Principe

A la clé

              Par Principe j'entends le très beau texte de mon ami Patrick qui en a commis beaucoup, de beaux textes, et je vous encourage à faire un tour du côté de Villa Seurat (P.R.)

 

30 septembre 2023

Le coeur montagne

Masse

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                   Babelio a tapé dans le mille(Merci Bab) en m'offrant ce bien beau roman de Clara Arnaud pour lequel je crois que le succès sera au rendez-vous. Et quel joli titre que Et vous passerez comme des vents fous. L'auteure emploie un montage alterné avec d'une part la trajectoire de Jules, jeune homme devenu saltimbanque montreur d'ours à l'orée du XXe siècle, de ses vallées pyrénéennes aux scènes américaines de Montevideo à New York, et d'autre part Gaspard, père de famille, berger en proie au(x) doute(s) et Alma, jeune éthologue pleine d'empathie pour le grand plantigrade réintroduit récemment. Ni le dit plantigrade ni la spécialiste ès ursidés ne sont accueilis partout à bras ouverts.

                  Clara Arnaud ne cache guère son parti pris. Ce pourrait être vite lassant et démago mais elle évite cet écueil si fréquent. D'abord en ne condamnant personne, pas même cette société 1900 qui trouvait très bien d'applaudir ces sinistres numéros d'ours à bicyclette dans une foire quelconque ou comme Jules, star de la spécialité, dans un music-hall de Broadaway. C'était ainsi en ce temps-là. Tout n'était pas mieux avant. Et les personnages de Gaspard et d'Alma sont très bien circonscrits. Tous deux mal dans Leur peau mais je vous laisse les découvrir, ne voulant pas vendre la peau de l'ours.

                  Ce magnifique intitulé Et vous passerez comme des vents fous est extrait d'Impromptu d'un certain Hohvannès Chiraz, poète arménien. Et le roman passe, lui aussi, effluves de troupeaux à l'estive, vacarmes de chutes de pierres, cheminées orageuses, caprices animaux et alcools humains, trop humains. Jean le vieux berger en sa dernière transhumance regarde son monde s'effilocher, décidé à décider du moment de son départ. Gaspard rompra-t-il avec ce destin ancestral, hautement diplômé malgré tout? Et Alma, Alma l'âme ourse, en un sacerdoce revendiqué et sous les graffiti insultants, rebroussera-t-elle chemin?

                 Tout autour, elle (Alma) sentait la forêt bouger, la montagne respirer, et elle comprit ce qu'elle avait trouvé ici, une solitude pleine. La solitude désirable que la langue anglaise distingue de la loneliness, subie, endurée. Un écart au monde, un pas de côté, un refuge.

                 Je n'ai pas résisté à citer le passage suivant et vous n'en serez guère étonnés. Alma avait posé une semaine de congé et, une fois chez elle, elle s'était écroulée. Elle n'avait alors pas quitté son lit pendant trois jours, ou si peu, lisant queques lignes, reposant les livres qui s'étaient amoncelés autour d'elle, sous les oreillers, comme des créatures protectrices, La Montagne magique, des poèmes, rien ne parvenait à l'arracher au sommeil, ou plutôt à l'apathie qui l'avait gagnée. Elle s'était réfugiée dans la musique des jours tristes, avait écouté en boucle toute l'oeuvre de Leonard Cohen, elle se baignait dans cette voix basse et profonde, et repassait sans fin les enregsitrements des dernières années, où une gravité somptueuse habitait chauqe syllabe, l'économie de moyens était au sommet. Et elle sombrait encore, après avoir mangé quelques tranches de pain d'épice, aliment indispensable pour les  sorties en montagne, le seul qui restait dans ses placards. 

                  

 

 

22 septembre 2023

Massif, central, essentiel, it's all Wright

         Très belle invitation à prendre son temps, Le chemin des estives est une magnifique randonnée à travers le Massif Central, souvent un peu oublié. Assez particulière cette longue marche. Charles Wright, alors trentenaire aspirant jésuite, entame une virée buissonnière de 700 km dans le "milieu" de la France à travers sept départements entre Charente et Ardèche. En binôme avec Benoit, lui est un prêtre confirmé. Un peu sur les traces de Charles de Foucauld, un peu inspiré par les semelles de vent de Rimbaud, beaucoup pour s'interroger. Certains vont chercher le bonheur en Sibérie ou en Alaska, moi je lorgne ducôté d'Aubusson, de Saint-Flour et du plateau de Millevaches...Je suis un aventurier de la France cantonale, un explorateur de sous-préfectures.  

        Ne croyez pas mettre vos pas dans un austère chemin de croix, moralisateur et ennuyeux, Mr. Wright est drôle et impertinent parfois et sait aller à la rencontre des gens de là-haut, de là-bas, de là-centre. Pittoresque voisinage d'étrangers ayant choisi l'Auvergne en recul de leur propre existence, de braves villageois dont la méfiance ne résiste pas au sourire de nos curieux touristes, de commerçants plus ou moins généreux, de prêtres autochtones congolais ou rwandais ombrageux qui n'aiment pas trop partager la lumière dominicale de leur église de canton avec Benoit.  Il y a des athées bien sympathiques et des croyants obtus. Il y a le contraire. Il y aurait donc une vie entre Loire, Garonne et Rhône. 

        Il y a aussi de bons petits vins de la Sioule et nos voyageurs n'y voient rien à redire, vraiment rien. Et moi je ne vois rien à redire à ce pélerinage à hauteur d'homme sinon qu'il a donné naissance à un joli bouquin, un bouquin chemineau, un bouquin de haies et de landes, un bouquin d'ampoules au pied et de lits fourragers. Un bouquin qui tord le cou au prétendu regard bovin, Charles Wright s'y entendant tout à fait à sympathiser avec limousines, aubrac et salers. 

16 septembre 2023

Pas de deux

Un pas

                  J'ai déjà souvent évoqué mon goût pour Edward Hopper. Je crois même l'avoir chanté. Le hasard, que je sollicite parfois à la bibliothèque de ma ville, ça consiste à prendre le premier roman, ou presque, qui vous tombe sous la main, m'a procuré une drôle de surprise. Pas si drôle en fait. Tout sauf drôle. Mais c'est un livre impressionnant que nous propose Javier Santiso, auteur d'origine espagnole qui écrit en français. Un pas de deux c'est, en stylo subjectif, la vie commune de Hopper avec sa femme, racontée par elle-même, Josephine. 

                Joséphine, elle-même peintre un  temps honorée, puis éclipsée, vivra des décennies avec Edward. Et ce ne sera pas facile tous les jours. Amants orageux. Mais il y a autre chose. Edward apparait comme colérique, presque méprisant, un personnage glacial, arctique, ce qui ne surprendra guère. Josephine, en fait, deviendra son modèle, quasi unique et exclusif, ce qui exclura aussi son propre talent. Et tout le roman, toute la narration de Joséphine (et de Javier Santiso), épouse en fait assez vite la vie du couple et la difficulté d'être. Tous les amateurs de Hopper, et je les crois nombreux, savent que ce n'est ni la truculence, ni la joie de vivre, qui inondent l'oeuvre du maître. Les années de bonheur auront été fugaces. Et bien rudes les décennies suivantes.

               Je trouve Un pas de deux assez fascinant et créant un vrai miracle. Ce livre ne retrace que le couple Edward-Josephine au long des jours. il semble que rien d'autre n'existe au monde. Hallucinante dissection que ces 240 pages durant lesquelles Josephine décrit son quotidien comme une spéléologue le gouffre où elle tente de survivre. Car c'est bien de survie qu'il s'agit tant l'acuité et la profondeur du regard de l'auteur sont saisissantes. Est-elle à peu près objective? La sinistrose qui nous guette devant les tableaux de Hopper est si prégnante qu'elle accompagne aussi le lecteur. Une petite dose de masochisme est requise, éventuellement, pour goûter cet ouvrage. Hopperien en diable depuis toujours, j'ai accueilli favorablement ce faux journal de Josephine.

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                      On se sent si mal à voir certains tableaux que c'en est une joie rare. Il semblerait que cela ait été le cas pour Josephine. Paradoxal et contradictoire, comme l'oeuvre du peintre, ce roman est une sorte d'exploit, qui laisse cependant exsangue. Josephine qui, il faut bien le dire, aurait été elle-même difficile, ombrageuse, jalouse ô combien. Qui des deux fut prisonnier de l'autre? Bon d'accord...match nul pour ce pas de deux, un vrai tango morbido. 

                     Notre chorégraphie pitoyable. Deux partenaires désajustés, l’un trop grand, l’autre trop petit, nos corps qui n’ont jamais réussi à s’imbriquer l’un dans l’autre, à s’ajuster aux creux, aux angles. Une vie à deux et seuls.

P.S. J'ai conscience de ne pas avoir été des plus clairs. Une minute de cabotinage peut-être. Reste le limpide, le catégorique:l'art d'Edward Hopper. 

 

28 août 2023

Vienne, valse, Schönbrunn, Danube, chronique d'une mort annoncée

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         Un peu ridiculement affublé d'un bandeau Downtown Abbey, quelle idée, voici le formidable et fourmillant roman saga d'Ernst Lothar, chantre de la Mitteleuropa que j'ignorais jusquà ce jour. Le titre Mélodie de Vienne n'est pas beaucoup plus adroit,qui semble lorgner sur l'opérette viennoise qui devait singulièrement changer de ton dans les quelques décennies ici contées. Le titre original Der Engel mit der Posaune-Roman eines Hauses, L'ange à la trompette-Roman d'une maison, enseigne de la fabrique de pianos de la famille Alt, est plus approprié. Le livre est d'un classicisme absolu. C'est l'histoire d'une maison, d'une famille, d'une ville et d'un pays. D'un pays qui devait changer de statut en quelques années. Mais quelles années, 14-18, quatre ans qui ont changé le monde.

       1888. La famille Alt occupe tous les étages de cet immeuble cossu de la capitale de l'Empire d'Autriche-Hongrie. Une nouvelle venue, la belle Henriette Stein, d'origine juive, doit intégrer cette famille prestigieuse qui fabriqua un siècle plus tôt le piano sur lequel joua Mozart. Amorce d'un déclassement, d'une débâcle. Bien sûr on connait la suite. La connait-on vraiment? Peu de choses sont pourtant aussi importantes que l'Histoire.

        La chute des Habsbourg a maintes fois été évoquée, racontée, exploitée. C'est un thème royal, impérial, que la ruine des empires. Ernst Lothar lui même juif quitta l'Autriche en 1938 comme tant d'autres. Il sait de quoi il parle. Et la Vienne vieillissante de François-Joseph, le suicide de Rodolphe à Mayerling, l'assassinat de Sissi, et Sarajevo 1914 vont conduire l'Autriche à sa perte, transformant la grande puissance continentale en un petit état coincé au milieu de l'Europe (bon d'accord, Mozart, Haydn, Schubert, Freud, Zweig, Lang entre autres). 

      Mélodie de Vienne est un roman. Mais l'un de ces romans qui prend à bras le corps l'Histoire et nous fait pénétrer dans cette maison Alt et vivre avec ses membres les émotions, les joies, les chagrins et les soubresauts d'une fin de siècle et d'un tournant. Zweig déjà cité parlait du Monde d'hier. Et c'est absolument passionnant. Comme toute famille en littérature les Alt se dèchirent, haines et rancoeurs. D'amour, finalement, pas tant que ça. Mais tous les symptômes de l'épuisement. Cette période et cette Mitteleuropa m'ont de tout temps passionné. Il faudrait citer tout le livre. Ou, plus simplement, le lire.

       Ernst Lothar, contrairement à certains, retrouva l'Autriche après guerre, où il fut en charge des épineux dossiers de la dénazification et où écrivit Retour à Vienne que Liana Levi (piccolo) publie dans le même format..

21 août 2023

Isola Ultima

Pantelleria

           Ce petit livre de 130 pages est une merveille. J'avais apprécié Borgo Vecchio, un roman du même Giosué Calaciura, qui nous immergeait dans une Sicile actuelle loin des touristes. Pantelleria est une île suspendue entre Europe et Afrique. Ce n'est pas Lampedusa. En fait L'île qui n'était pas là et qui a émergé, L'île sans plages (ce sont les titres de deux des chapitres), et là je vais me contredire, n'échappe plus tout à fait au surtourisme, nouvelle plaie de l'art de voyager. C'est vrai, ça, tous ces gens qui sont dans le bus avec moi, ou font la queue devant les Offices en même temps. Y en a même devant moi dans la file. Impudence.

         Sting, Madonna et autres Depardieu ont depuis longtemps plus ou moins squatté ici, version cinq étoiles. Là n'est pas l'important. Giosué Calaciura n'aurait-il écrit que cet opuscule sidérant de beauté et de poésie qu'il serait déjà au firmament des grands poètes du Sud. Tellurique et volcanique, mêlant l'histoire inassouvie de cette île aux noms multiples et sa géographie tortueuse et inquiétante, sa prose nous transporte, en format presque guide touristique, dans cette anomalie curieuse et obstinée qu'est Pantelleria. Sa précision n'exclut ni l'humour ni la fantaisie. Mais de cela Calaciura vous parlera mieux que moi. 

         L'auteur pousse le jeu jusqu'à à peine traduire quelques termes vernaculaires qu'il nous faudra deviner au fil du livre. Et je trouve cela bien joli, dammusi, sesi, garche, buvire, sardara. Le livre est de lave et d'obsidienne, de sirocco et de mistral, de figues de câpres. Et vous saurez tout sur le zibibbo, ce raisin très particulier qui donne un liquoreux qui a ses adeptes. 

         Aux oliviers Biancolilla, rebelles par exubérance chlorophyllienne, revêches et capricieux au point que même les cisailles ne peuvent leur enseigner la règle et la disicipline, les Pantesques imposent, encore une fois, la pierre, attachée à la branche par une corde, comme une bride, afin qu'ils apprennent à baisser la tête jusqu'au sol. Mais c'est par pitié que les paysans imposentce joug aux oliviers, sans quoi les vents arracheraient tous les fruits et toutes les feuilles sur les branches.

         Gabriel Garcia Marquez, débarquant dans l'île en 1969, vit dans Pantelleria une réminiscence de son Macondo de Cent ans de solitude, Et Calaciura la raconte ainsi. "Mais où m'ont-ils amené?" Avant même d'atterrir, durant les tournoiements de vautour de l'avion, il avait, à travers le hublot, vu l'île comme un animal préhistorique émergé des marécages de soufre des abysses pour venir prendre une bouffée d'air, recouvert des fossiles des parasites et des sédiments calcaires des millénaires, prêt à retourner dans ses fonds sous-marins bouillonnants. Pantelleria lui sembla sans erreur possible être Macondo, avec le fait aggravant d'être entourée d'eau, isolée de tous les itinéraires reproductibles de la modernité des hommes, égarée entre des océans de volcans dont l'activité laisse des germes d'éruption en forme d'îles mouvantes en longitude et latitude, avec cette faculté propre aux cétacés d'émerger, de replonger et d'émerger encore, selon un projet d'une clarté terrifiante. 

        La prose de Giosué Calaciura ressemble elle aussi à Pantelleria en toute splendeur. Un peu dantesque sinon pantesque, fantasque et fantastique, Moby Dick littéraire, 130 pages de très haute volée qui laissent un sillage fuégien en Méditerranée. Ulysse aurait pu y séjourner. Moi, je dis que c'est le cas. 

14 août 2023

Isabel quitte son mari

Osmond 

               Mme Osmond est un roman de l'Irlandais John Banville. Roman parfaitement hors du siècle et le revendiquant, à la fois exercice de style et hommage à Henry James. C'est ainsi que l'a imaginé John Banville, une variation virtuose sur Portrait de femme. Isabel Osmond, joli morceau de gratin londonien, quitte son palais de Rome, décidée à quitter son mari dont lle vient de découvrir la trahison. Je crois que de nos jours on ne s'exprimerait plus ainsi. Un temps déstabilisée elle renaît doucement de ses cendres, les prétendants ne manquant pas. 

             Qui peut s'intéresser à un roman type fin de siècle, l'avant-dernier, mettant en scène des aristos britanniques, tellement, aux prises avec peines de coeur et parfois finances fragiles? Tout le monde, à mon avis. Tant la finesse de l'auteur, sa précision méticuleuse m'a séduit. De retour à Londres Mrs. Osmond renoue avec ses vieux amis, et loin de l'Italie si à la mode, tente d'assumer sa liberté nouvelle bien qu'elle ne soit pas du genre à se laisser étourdir. Quittant le luxe romain, gouffre aux chimères qui ne lui a guère apporté que déception et mépris, il n'est pas certain pourtant que Londres en son égocentrisme lui apporte une sérénité nouvelle.

              John Banville détaille, en cela la référence assumée à Henry James est patente. Rappelons ici qu'Henry James, américain de New York, ne devint citoyen britannique que queques mois avant sa mort en 1916. Banville écrit Mme Osmond comme le peintre qu'il souhaitait devenir en sa jeunesse. Un thé reste un cérémonial par exemple et fumer un cigare peut donner ceci dans la belle prose de l'écrivain irlandais. N'est-ce pas minutieux?

              Elle lui remit l'étui, et il se choisit un cigare, qu'il alluma; la flamme de l'allumette brilla d'une pâle clarté irréelle au soleil, et, en la regardant se consumer, Isabel éprouva à nouveau un malaise inexplicable. Osmond l'observa à travers un petit accroc bleu dragée dans la fumée qui se dispersait.

              Tout comme dans le modèle, Portrait de femmeMme Osmond peut être d'une rare violence car c'est avant tout de vengeance qu'il s'agit. On ne dégaine aucune arme dans ce roman. Mais on y ironise, on y persifle, on y meurtrit à merveille. Et je vais vous faire une confidence: je me sens bien parmi ces gens là. Scones, muffins et marmelade ne sont pas pour me déplaire. On a les madeleines qu'on peut. Et Isabel, toute en retenue, est diablement séduisante.  

 

 

10 août 2023

Un des garçons de la Bande🎸

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 And the the man was alone...Garth Hudson était le doyen de The Band. Il en est maintenant le survivant. The Band (ex The Hawks) était un groupe multi folk rock etc. Ils accompagnèrent Bob Dylan lors de son électrification digne de la bataille d'Hernani. Dylan était un célèbre chanteur song writer américain qui finit Prix Nobel de littérature. Hernani était une pièce de Victor Hugo. Victor Hugo était...J'essaie de garder le sourire. Robbie Robertson vient de rejoindre Richard Manuel, Rick Danko et Levon Helm. La débandade finale de The Band est actée. Selons certains exégètes The Band aurait été le nec plus ultra, la quintessence protéiforme, l'ultime de cette musique, ma musique, et, pour certains, notre musique. Je partage.

              Les gars de The Band savaient tout faire, sauf échapper aux démons réels des paradis artificiels si conformistes. Masi ceci est une autre histoire. A suivre (très) modeste hommage. 

4 août 2023

Doux gémis

Plaintes

                  Nouvelle rencontre avec Yoko Ogawa dont je suis devenu inconditionnel. J'aime son univers modeste souvent, émouvant toujours. Avec ses personnages un peu à la marge, mi recul mi détresse, souvent éloigné d'un Japon trépidant. La musique est pour beaucoup dans plusieurs de ses romans. Ruriko, calligraphe, se met au vert, en rupture avec son mari violent.Réfugiée au coeur de la forêt elle n'a pour voisin que Nitta, un ancien pianiste devenu incapable de jouer en public. Dans son chalet Nitta est facteur de clavecin, une rareté. Une jeune femme, Kaoru, est son assistante et Dona, vieux chien sourd et aveugle, son compagnon. Les cinq sens sont souvent en éveil chez Yoko Ogawa, notamment ceux qui manquent à Dona. Bien joli symbole qui ne surprendra pas les lecteurs ayant fréquenté l'auteure. On ne peut qu'être à l'écoute du très haut vol ses écrits.

               Ruoriko devient l'amie et la complice de Nitta et Kaoru, qui eux-mêmes ne constituent pas vraiment un couple. Tout est bien plus fin chez Ogawa. Et au coeur de cette forêt s'insinue l'émotion toute en retenue. A travers les gestes du facteur de clavecin, si différents du luthier, avec la précision et la pondération requises pour cet artisanat où l'on tutoie les anges. Nitta, suite à un probable traumatisme ancien et vague, a des doigts, si habiles à bâtir l'instrument, qui ne savent plus jouer, du moins en public. C'est que l'incommunicabilité traverse le roman, sur la pointe des pieds, discrètement. Un triangle des sentiments, une quintessence de pureté (presque) platonique, c'est le monde nippon de Yoko Ogawa. J'avoue que je m'y sens bien. 

             Les tendres plaintes, ce titre semble totalement ogawesque en sa douce mélancolie, sa belle peine, l'oxymore est princier chez cette auteure, est en fait une oeuvre de Jean-Philippe Rameau (1724) et je vous en propose une version magnifique par le grand claveciniste Jean Rondeau. Je n'aurai garde d'oublier ce bon vieux Dona, trait d'union de grande tendresse qui n'émet aucune plainte.

27 juillet 2023

Le six petits romans qui venaient du Nord

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               Je crois que Jens Peter Grondahl est vraiment un grand du Nord. Très attiré depuis toujours par Septentrion je viens de terminer ce recueil de six court romans, ne dit-on pas novelas ou peut-on encore parler de nouvelles? Je l'ignore mais les textes sont tous remarquables et, une fois n'est pas coutume, je vais revenir brièvement sur chacun, tant Grondahl sait sonder les coeurs et les reins avec des approches très différentes et toujours la même acuité. Celle qui m'avait tant plu avec notamment Quelle n'était pas ma joie et Les Portes de Fer.

               Les jours sont comme l'herbe reprend un thème approché dans Virginia, très court roman de Grondahl des année 2000. Une fraternité s'ébauche à la fin de la guerre entre un adolescent et un prisonnier allemand guère plus âgé. L'amitié n'aura pas le temps et la paix qui arrive est tout à fait capable, elle aussi, de broyer les êtres. 

               Villa Ada. Un autre ado, tout à fait contemporain Père danois, mère italienne, rejoint, probablement sincère d'une sincérité qui n'exclut pas un brin de démagogie, une sorte de mini ZAD dans un parc romain. Les parents se déchiraient avant. Puis pendant. Puis après. Se méfier des miroirs aux alouettes. Il en est de toutes sortes. Le scalpel de l'auteur est très convaincant. 

              Edith Wengler, la vie d'une grande actrice fictive, est une belle méditation sur le métier de comédienne, nantie de toute la mélancolie du temps, cet assassin en fuite. Dans sa gravité Edith Wengler parvient à rester un texte lumineux. 

              Je suis la mer, titre curieux pour l'enquête d'un policier sur la disparition d'un riche industriel. L'éternel "changer de vie", cet eldorado inaccessible, ne peut qu'émouvoir. 

              Hiverner en été, et Adieu abordent le thème du choix pour deux belles figures de femmes. Confrontées à différents dilemmes, la juge et la pasteure. Elles devront décider. Vertiges et tourments...Ces romanellas (c'est ainsi que j'ai décidé de les nommer) devraient faire mieux connaître J.C.Grondahl. De longues et douloureuses sonates. Bergman...Camus...

23 juillet 2023

O sole mio selon la Sacher

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             Il a troqué son légendaire scooter pour une trottinette. Et que l'image est belle! Enfin un film que j'avais vraiment envie de voir. Ce n'est pas si fréquent. Nanni, après Tre piani, un choral qui m'a laissé sur ma faim, la première fois que Moretti me décevait, nous revient avec le délicieux Il sol dell'avvenire, qui pour moi entrera dans le cercle fermé du cinéma dans le cinéma réussi (La nuit américaine, Quinze jours ailleurs, Sunset Boulevard, Fedora et quelques autres). 

             Giovanni tourne un film dont l'action se passe en 1956. L'avenir radieux est celui envisagé par le PCI de Togliatti, c'est celui qui va brutalement se heurter aux images de Budapest. Pour la fête du quartier Ennio, le secrétaire local, un génial Silvio Orlando, vieux complice de Moretti, a fait venir une troupe de cirque de Hongrie, en toute fraternité entre faucille et marteau. Tout ce petit monde évolue dans une Italie qui se modernise, pas trop vite cependant. Clins d'oeil à mon Néoréalisme chéri mais on peut apprécier le film sans en être (du cénacle des inconditionnels). Le cirque Budapesti lorgne évidemment du côté de Fellini. Essayez de n'y pas trop penser, vous n'y arriverez pas. 

            Les command-cars envahissent Buda. On connait la suite et Prague suivra douze ans plus tard. Patatras sur la joyeuse ambiance qui régnait jusque là. Vera, compagne d'Ennio, dessille les yeux sur la glorieuse URSS. Ennio traîne les pieds. Et si le paradis n'était pas au delà du rideau? Remise en question. Moretti traite tout ça dans la bonne humeur. D'accord mais ça c'est dans le film qui se tourne dans le film. Tu segui? Ceci n'empêche jamais une réflexion toujours possible et en cela Moretti rejoint les Italiens historiques et aussi les chantres de la comédie italienne. Un sourire voile l'émotion et au spectateur de jouer son rôle. 

            Giovanni, bien sûr joué par Moretti, et son épouse Paola, bien sûr jouée par Margherita Buy, traversent une crise de couple avec psychanalyste, c'est dans le packaging. Et Giovanni va mal et voit les choses en noir. Enfin en noir clair. Rappelons ici les obsessions du Moretti usuel, son hypocondrie et ses interrogations alleniennes dans lesquelles le Trastevere aurait remplacé Manhattan. Je vous laisse à l'osmose entre le créateur Giovanni et son double Ennio non sans une pensée pour Federico et Marcello. Mais là je m'égare. Scusami. Je n'aurai garde d'oublier Pierre, producteur français du film en tournage, enthousiaste et défaillant, Mathieu Amalric assez hilarant. 

            Bref Vers un avenir radieux est un régal. Nanni Moretti a rameuté beaucoup de ses acteurs habituels très peu connus en France en un défilé de fanfares claironnant un futur rayonnant. Tout Nanni Moretti est dans ce film. Son pessimisme aussi, curieusement. Peu de metteurs en scène auront autant compté pour moi. C'est que nous nous sommes tant aimés. Andiamo! 

             

19 juillet 2023

Feux de Bengale

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         Que voilà une belle surprise. On m'a présenté et prêté un livre très original dont je n'avais jamais entendu parler. Pas plus que de l'auteur au nom de toute façon impossible à retenir. Un seul repère, le grand cinéaste indien Satyajit Ray a jadis adapté en un trilogie La complainte du sentier, dans les années cinquante. Bibhouti Bhoushan Banerji (1894-1950) est un auteur bengali, au nord-est de l'Inde, qui écrit en bengali. Issu d'un milieu très pauvre, ll passa son enfance dans un village du delta du Gange mais put faire néanmoins des études supérieures à Calcutta. Tantôt enseignant en milieu rural, tantôt exploitant forestier, il partagea sa vie entre Calcutta et sa région et l’État voisin du Bihar.

        Jeune diplômé sans le sou, Satyacharan, mainfestement un double de l'auteur, trouve un emploi de régisseur au fin fond du Bihar. Il a pour tache entre autres d'administrer ces territoires ruraux éloignés de tout, et de distribuer des terres raisonnablement au nom du gouvernement de New Delhi, là-bas loin vers l'Ouest, ce qui n'est pas une mince affaire. Calcutta lui manque puis assez vite Satya (faisons court avec les noms indiens) tombe sous le charme, sous les charmes de ce pays et de ces habitants dénués d'à peu près tout. Ce n'est pas pour cela un monde angélique, les castes étant ce qu'elles ont toujours été, les haines et les rancoeurs n'épargnent pas ces paysans, ces éleveurs, ces chasseurs, ces laissés pour compte du gigantesque sous-continent. Ecrit dans les années trente mais l'Inde, devenue le pays le plus peuplé du monde, est encore loin d'avoir exorcisé tous ses démons, de l'ignorance, de la grande pauvreté. 

         On parle au sujet de De la forêt de Thoreau bien évidemment, et comme d'un premier roman écologique. Je ne prise guère cette appellation. Mais ce roman nous dépayse considérablement, offrant des perspectives d'une richesse incomparable. Il faudrait citer des paragraphes entiers. 

         Une minute plus tard le faon s'approcha comme pour mieux me regarder. Son regardétait curieux et vif comme celui d'un enfant. Il serait peut-être venu encore plus près mais mon cheval tapa du pied et s'ébroua brusquement. Surpris, le faon disparut dans les fourrés pour porter la nouvelle à sa mère.

         Je restai un long moment assis sous les ombrages. Entre les branches j'apercevais l'eau de l'étang qui s'étendait en demi-lune jusqu'au pied des montagnes. Le ciel était d'un bleu sans nuage. Le peuple des oiseaux aquatiques était engagé en de longues disputes bruyantes. Une aigrette, sérieuse et avisée, postée sur une hauteur au bord de l'eau, manifestait son agacement par quelques cris soudains. Au sommet des arbres sur le rivage, des hérons ressemblaient de loin à des bousquets de fleurs blanches. 

         Peu à peu, le ciel de montagne se teinta de rouge.

         En face, la chaîne de montagnes prenait des teintes cuivrées. Les hérons s'envolèrent, toutes ailes déployées. La lumière se réfléchissait sur les plus hautes branches. 

         Les piaillements et pépiements augmentèrent, le parfum des fleurs sauvages se ft plus entêtant. Une senteur plus épaisse, plus sucrée. D'un peu plus loin, une mangouste, tête dressée, m'observait. 

         Quelle paix secrète! Quelle extraordinaire solitude! Cela faisait plus de trois heures que j'étais là, je n'avais rien entendu d'autre que le ramage des oiseaux, le léger crépitement des brindilles sous leurs pattes, le froissement d'une feuille sèche ou le craquement d'un rameau qui tombe. 

         Ce livre est une merveille pour qui veut ainsi quelques heures d'une escapade contemplative et rêveuse. L'auteur sait si bien saisir un frémissement animal, une fragrance exotique, une couleur indéfinissable. Mais Banerji fait preuve aussi d'une belle empathie pour le genre humain. Tous ces humbles parmi les humbles, un roi miséreux héritier d'une longue lignée devenu berger, un jardinier imaginatif qui amplifie ces décors fabuleux, un danseur facétieux qui vit de son art et qui demande si peu. La violence est bien là, sous-jacente, le tigre mangeur d'hommes n'est pas une légende, les buffles sauvages sont souvent très dangereux, le riz, bien cher, est hors de leur portée. Les chemins chevauchés sont parfois semés de rencontres douteuses.Quant à l'éducation et à la santé, les écoles sont bien rares et les hôpitaux bien loin.

         Seule lacune à ce bien beau récit-roman, l'absence d'un lexique zoologique et botanique. Hartit, hariyal, kullo, gurguri sont des oiseaux. Bakain, piyal, arjuna, saptaparna des arbres ou des fleurs grimpantes. J'aurais aimé voir des images. Après avoir lu De la forêt j'ai blogtrotté, un peu surpris par le nombre apparemment assez important de lecteurs. Un peu d'espoir.  

6 juillet 2023

Chapitres noeuds

Noeuds

            Captain le Bison, qui traîne pas mal dans des lieux inhospitaliers, m'a envoyé en mission à Terre-Neuve. Ce fut un peu rude à l'arrivée. Ce coin d'Atlantique Nord n'accueille pas avec des colliers de fleurs. Maudit Bison. Et puis j'ai apprécié le retour de Quoyle sur son île natale, venant de New York après la mort de sa femme, une garce, avec ses deux petites filles assez perturbées et une vieille tante. Quoyle est un poissard, un machanceux, un vrai. Il trouve un job de journaleux plus que de journaliste au Shipping News (c'est aussi le titre original du roman), habilement traduit en français par L'Eider cancaneur.

            Alors il y a des tempêtes, du rhum, des cuites, des querelles. Une histoire qui nous évoque Melville et Stevenson, ces modestes écrivains de marine. Annie Proulx (Brokeback Mountain) a obtenu le Pulitzer pour cette aventure un peu extrême qui reste néanmoins une comédie aux personnages pittoresques dans ce petit monde de pêcheurs, de chasseurs de phoques (sensibles s'abstenir) et de fonctionnaires détachés. Quoyle tente donc de refaire sa vie mais c'est plutôt un timide peu gracieux doublé d'un brave type un peu déphasé. 

           A Terre-Neuve on sent aussi les miasmes d'une certaine consanguinité. Proulx nous inciterait à penser que les gens y sont plus dégénérés qu'ailleurs. Doit-on y voir les conséquences  de l'insularité? Ou un mépris des continentaux canadiens? Plus enjoués, les noms des lieux de là-bas dont certains en français, résultat des campagnes des terre-neuvas de jadis, ça donne une certaine poésie. Gros Morne, Belle Isle, Port-aux-Basques, L'Anse-sans-Nom, Patte-de-Grappin, Port-Crachin. Et de sympathiques endroits, Naufrage, Petite-Désespérance. Si vous voulez on s'y retrouve pour quelque's) bière(s) au Nid du Grand Petrel. Vous comprenez maintenant pourquoi le Bison m'a conseillé ce pélerinage. Pour lequel il faut cependant un certain souffle. 

            A propos de souffle ça dépote pas mal dans Noeuds et dénouement. Ecoutez ce qu'en dit Annie Proulx. Vers minuit le vent souffla plein ouest et il entendit sa plainte se transformer en hurlement, un vent terrible dans le catalogue des vents. Un vent qui se rapprochait du Vent bleu du nord, du Blaast glacial et du Landlash. Un cousin du Bull's Eye, toujours annoncé par un petit nuage au centre rougeâtre, la belle-mère du Vinds-gnyr des sagas norvégiennes, des nordets qui soufflent trois jours durant sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre. un oncle du Williwaw de l'Alaska, et du Doinionn sauvage d'Irlande. La demi-soeur du Koshava chargée des neiges russes qu'elle pousse à l'assaut des plaines yougoslaves, du Steppenwind, et du violent Buran des plaines infinies de l'Asie Centrale, du Crivetz, des Viugas et des Purgas de Sibérie, et du féroce Myatel qui balaye la Russie du nord. Un frère de sang du Blizzard de la prairie, de cette clameur venue de l'Arctique canadien connue simplement sous le nom de Vent du nord, et du Pittarak qui fait fumer la banquise du Groenland. Un vent abominable, tranchant comme une lame d'acier.

            Sacré Bison! M'étonne pas que ça lui ait plu, tout ça. Passez donc le voir, munis d'une bonne écharpe. Voir L'Eider Cancaneur

 

30 juin 2023

Dernières nouvelles du front cinéphile

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                       Hokusai est maintenant assez célèbre en France. Son compatriote Hajime Hashimoto signe un biopic, un de plus, pas intéressant même si l'essentiel pour un artiste réside dans ses toiles. Japon, XVIIIème siècle. Le pouvoir impérial impose sa censure sur les artistes. le jeune Shunrô, apprenti peintre, est exclu de son école à cause de son tempérament impétueux et du style peu conventionnel de ses estampes. Personne n’imagine alors qu’il deviendra Hokusai, célèbre auteur de La Grande vague de Kanagawa. On a maintenant la chance de voir pas mal de cinéma asiatique. Il ne faut pas  s'en plaindre. Et Hokusai, le film, nous aide à en savoir un peu plus. 

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                     Le cinéma d'animation est une longue tradition au Japon. Voici une sympathie comédie morale d'Ayumu Watanabe, La chance sourit à Madame Nikuko, où l'on retrouve à travers le portrait d'une maman un peu ronde une certaine constante nippone des plaisirs de la table. Ses rapports avec sa fille sont au centre du sujet mais j'ai surtout aimé le côté calme et provincial de cet aspect du Japon qui nous éloigne des pressions tokyoïtes habituelles.

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                  Je tenais beaucoup à présenter pour clore cette saison le document sorti l'automne dernier Hallelujah, les mots de Leonard Cohen. Dans ma vie depuis plus de cinquante ans Leo a bercé mes jours et mes nuits. Et j'ai voulu proposer de le mieux connaitre. Vingt-cinq personnes environ (pas si mal, croyez-moi dans une ville moyenne, je le dis souvent). La plupart ont apprécié, semble-t-il, même si ce film est à 75% consacré àu destin d'une seule chanson. Pour ma part j'aurais aimé évoquer davantage les autres facettes de Leo. Vous n'entendrez aucune chanson en entier, ça peut sembler frustrant. 

                 Ceci dit l'homme a une telle envergure et une telle présence que les deux heures passent bien. Mais Hallelujah est devenu un tel phénomène, une telle institution que l'overdose peut arriver. Leonard Cohen, un homme à savoir éviter parfois, tant son influence peut être grande. Je n'exprime là que mon sentiment. Et c'est ainsi que je l'ai défini avant le film. Passionnant, multiple, drôle parfois, jovial même. Je sais on ne croit pas cela possible. Mais aussi impressionnant, dangereux, voire toxique. Moi j'aime ce mal qui fait du bien qu'il nous a distillés pendant cinquante années. 

                 Hallelujah, les mots de Leonard Cohen ne fait que frôler poèmes et disques, addictions et déprimes, la ruine réelle de l'artiste, les cinq années au sanctuaire bouddhiste de Mount Baldry, etc. C'est normal, il raconte la vie d'une chanson, d'une chanson certes hors normes, mais enfin, d'une chanson. Mais un moment cohenien dans une vie ne peut que faire du bien. J'ai dit un moment. Quant à Leo, et comme toujours quand le cinéma se penche sur les créateurs le mieux ne serait-t-il pas d'écouter ses quinze albums? Et ainsi de se faire sa propre idée. Au lieu de lire les divagations cohenophiles d'un vieil amoureux de Suzanne

P.S. Finalement à la demande générale il y aura une chanson entière. Façon de parler...🎸

 

 

                  

 

24 juin 2023

Le château du Diable Boîteux

Masse

Talleyrand

                       Exercice inédit chez les amis de Babelio (merci), chroniquer un petit guide touristique. J'ai voulu tenter l'expérience, comme un petit tour en Val de Loire, chez un personnage historique qui m'a toujours fasciné. Et c'est plutôt, sympa, une petite soixantaine de pages, format poche de touriste, jolies photos et brève histoire de ce bijou entre Tours et Chateauroux, qui fleure bon le vin de Touraine. Les auteurs, deux historiens dont l'un spécialisé en architecture, ont concocté l'essentiel de la visite.

                      C'est toujours un plaisir pour moi, quelque temps hors du temps justement. Passionné d'histoire, et le cinéma est passé par là (Le Diable Boîteux, Le souper), la trajectoire de Talleyrand, qui traversa cinq ou six régimes successifs, m'a semblé extraordinaire. Evêque défroqué, ambassadeur, ministre, cet homme est de ceux, rares, qui pesèrent sur la France, sans être tout à fait en première ligne mais souvent faiseurs de rois. 

                       Valençay fut son Versailles. Le célèbre vice appuyé sur le bras du crime (Talleyrand au bras de Fouché selon Châteaubriand) était aussi un excellent gestionnaire de son domaine. A dire vari il géra un peu tout en France. Et on s'imagine une certaine douceur de vivre dans ce château Renaissance Empire Restauration etc. Cette charmante plaquette de Christophe Morin et Emmanuel de Waresquiel, toute en cour d'honneur, jardin de la Princesse, Grand Vestibule et Salon Bleu...nous dépayse joliment. Un avant-goût d'estivales escapades. Et quelques rappels historiques bien utiles dans la grnde valse mémorielle. 

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